- juillet 3, 2020 -
Parmi les conseils littéraires plus ou moins avisés que l’on trouve sur la toile, il en est un qui prête souvent à confusion : le réputé mais controversé show, don’t tell (montrer, ne pas dire).
Que recouvre précisément ce conseil ? En tant qu’auteur, comment l’interpréter et l’utiliser ? Dans certains cas, comment s’en méfier ?
Il n’est peut-être pas nécessaire de le préciser, mais le conseil show, don’t tell nous vient des États-Unis. Cette formule est devenue l’un des piliers de la pratique littéraire anglo-saxonne.
Ce conseil chuchote ceci à l’oreille de l’auteur : chaque fois que tu le peux, ne nomme pas la chose, décris-la.
Autrement dit, n’écrivez pas : « Hugo était en colère. », mais décrivez à votre lecteur les signes qui montrent qu’il est en colère : « Son regard se noircit, ses mains se crispèrent. Il avança d’un pas, les bras toujours croisés. »
Cette manière d’écrire comporte un avantage majeur, celui de resserrer le point de vue. Le lecteur se retrouve à l’intérieur d’Hugo en train de se mettre en colère (ou bien, c’est selon, le lecteur examine le personnage à la loupe, de l’extérieur). On vit l’émotion monter en lui, se manifester concrètement. Le lecteur est immergé.
Normalement, si l’auteur a fait le boulot, la situation et les signes sont assez précis pour que l’émotion décrite soit rapidement identifiée par le lecteur. C’est montré.
En écrivant « Hugo était en colère », le narrateur survole le personnage en hélicoptère et le montre du doigt : « Tiens, voilà le personnage qui est en colère ». C’est clair pour le lecteur mais pauvre émotionnellement. C’est dit.
Le show, don’t tell est également LA devise qui préside à l’écriture de scène.
Si j’écris :
« Au fur et à mesure que la soirée avançait, Hugo sentait monter une colère. Une colère si sauvage et si furieuse qu’il eût peur qu’elle n’explose à la face de ses invités. Il ne parvint à la dompter qu’en l’enfouissant au fond de sa gorge. À partir de 21 heures, il ne prononça plus un mot. Devant son mutisme, les invités s’étonnèrent d’abord, puis se désintéressèrent de lui. Ils continuèrent à s’enivrer tandis qu’Hugo poursuivait la soirée, seul devant son verre, chez lui. »
Ce paragraphe est ce que l’on appelle un résumé narratif. La soirée est évacuée en un seul paragraphe. On nous parle de la colère d’Hugo et de son isolement au cours de la soirée.
Beaucoup d’écrivains français comptent trop sur le résumé narratif pour raconter leurs histoires. Il en résulte, page après page, parfois chapitre après chapitre, une écriture imagée, quelquefois exquise, mais sans description, sans personnages spécifiques, sans dialogue, sans tension.
On ne saisit pas la vie en train de se dérouler. On ne voit rien, on ne ressent rien. Un voile gris s’installe petit à petit devant les yeux du lecteur.
Pour faire vivre un moment, il existe un outil : la scène littéraire. Mais puisque les scènes sont habituellement plus difficiles à écrire que le résumé narratif, les écrivains ont tendance à s’en passer.
Dans la version mise en scène (que je vous fais grâce d’écrire ici), les invités ne se fonderaient plus en un groupe indistinct, mais s’appelleraient Sandrine, Paulo, Leila… Nous aurions accès à l’odeur de leur transpiration, à leur manière de boire leur verre, à leur manière d’interagir avec Hugo, à l’évolution de leur démarche et de leur diction au fur et à mesure de l’enivrement, etc. Nous goûterions cette soirée presque en temps réel, moment après moment.
La montée de colère d’Hugo, véritable ossature de la scène, serait alors peinte plus finement. Elle serait même sujette à interprétation. Qu’est-ce qui a bien pu mettre Hugo dans une telle colère ?
Votre serviteur, vous l’avez compris, est un fervent adepte du show don’t tell. Mais seulement si cela se justifie. Il existe quantité de cas où le résumé narratif peut (doit) être préféré.
Vous l’avez compris, le débat qui oppose écriture « à l’américaine » et écriture « à la française » frôle la stérilité.
Ce qu’il faut repérer, ce sont les moments de votre récit où vous devez faire vivre (montrer) et ceux où vous devez résumer (dire).
Facile à dire.
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